Voici le rapport de Robert DUPUIS le père d'une amie.
Direction des Services de documentation 8ème bureau – 5ème section Paris le 1er août 1945
EXÉCUTION
De la circulaire ref. N; 23.0.6.I/4467/RL/PL2
Je soussigné, M. D. Robert, pseudo « GENDRE » « BERNARD »
Grade : chargé de mission de 2ième classe - Réserve
Déclare sur l’honneur :
1° servir sans interruption depuis le 11 mars 1940
2° avoir été nommé à mon grade actuel le 30 avril 1944
3° être célibataire
Paris le 1er août 1945
Situation militaire : E. V. (NB = Engagé volontaire) dans la marine le 16 mars 1940- dépôt de Brest- cours de canonnage sur le cuirassier PARIS de fin mars au 1 mai 1940. – versé dans les compagnies de fusiliers marins- campagne de France- Prisonnier à Landernau, le 19 juin 1940- évadé le 30 juin 1940 du camp de LAMBAZELLEC- rejoint le 5ème dépôt des équipages de la flotte à TOULON.- embarqué sur le cuirassier STRASBOURG et reste sur ce bâtiment jusqu’en novembre 1942, date du sabordage de la flotte- Quartier-maître, agent spécial de 3ème classe le 1er janvier 1943- agent spécial de 2ème classe depuis le 30 avril 1944.
Cours suivis :
Stage pour les opérations aériennes en ANGLETERRE.
Cours de canonnage sur le cuirassier « PARIS »
Section de fusiliers marins pointeurs au 37 Anti-char.
ACTIVITES DE RESISTANCE ET RAPPORT SUCCINCT DE LA PREMIERE MISSION DU
Chargé de Mission de 2ème classe :
D. Robert
Alias GENDRE Bernard
Accrédité dans la résistance, le 1er janvier 1943 à Lyon par MONTJARRET, pseudo HERVE, FRIT.
Du 1er janvier 1943 au 15 avril 1943, prospecteur de terrains de parachutages et toutes opérations aériennes, Région de ROANNE (Loire), sous les ordres d’HERVE et à la disposition de Monsieur GALLET chef franc-tireur à ROANNE.
D’avril 43 à juin 43, HERVE ayant été arrêté, mis à la disposition de JEAN PIERRE (SIF) à Lyon, qui me fait suivre, à SAINT BONNET DE JOUVE (Saône et Loire) un cours complet de sabotage (manipulation des explosifs étrangers, armes étrangères, guérilla, combat sans arme). Ce cours me fut donné par DANIEL de son vrai nom BOUTHOULE.
En juin 1943 je fus appelé par PAPE, chef SAP de R4 (NB = Région 4 dont la capitale était Toulouse et qui comprenait tous les départements autour de cette ville jusqu’à la frontière espagnole) et je fus nommé par celui-ci chef instructeur de sabotage.
De juin à août 1943 je monte une école de sabotage dans un maquis à ESTIVAUX près de BRIVES (Corrèze). Ce maquis était commandé par Émile TROIS ETOILES.
D’août à octobre je monte une autre école de sabotage à quelques kilomètres de BERGERAC (MAURENS) dans des carrières isolées ou PAPE envoyait tous ses hommes ainsi que des hommes de l’AS (NB = Armée Secrète qui comprenait tous les mouvements de résistance, religieux, syndicaux ou corporatifs comme « Combat », « Libération », « Francs Tireurs ».Ceux-ci étaient différents des Réseaux Renseignements ou Action qui, eux, étaient organisés, avec une centrale de commandement extérieure et qui jouissaient d’une logistique appropriée.) PAPE supervisait ces écoles de sabotage.
Ces écoles comprenaient :
Instruction et maniement des armes françaises et étrangères
Sabotage
Explosifs étrangers (anglais en particulier)
Cours sur la technique des guérillas
Combat sans arme.
En novembre 1943 un des deux chefs de sous-région de PAPE fut arrêté (FRED). PAPE me demanda si je voulais bien le remplacer et j’acceptais pour cinq départements :
GERS, TARN ET GARONNE, LOT ET GARONNE, LANDES, et BASSES PYRENNEES.
J’ai eu dans ces départements un gros travail de réorganisation, tous les terrains de parachutage étant brûlés.
Le 24 janvier 1944 après avoir échappé trois ou quatre fois à la GESTAPO dans les départements où je déployais mon activité et en particuliers à MIRANDE (Gers), sur l’ordre de PAPE je passe en Espagne. Je reste une quinzaine de jours au camp de MIRANDA où je suis reconnu et pris en charge par les anglais qui me rapatrient à LONDRES via GIBRALTAR.
PS :
Entre le mois de juin 1943 et mon départ pour l’ANGLETERRE c'est-à-dire le 14 janvier 1944, outre mon activité dans les opérations aériennes et la formation de saboteurs, j’ai accompli les sabotages suivants :
Octobre : sabotage d’une usine faisant le triage des métaux pour les allemands. (Deux grosses grues et un pont roulant démolis au plastique) arrêt complet de cette usine pendant quinze jours et marche au ralenti pendant plusieurs mois. Cette usine se trouvait dans la banlieue toulousaine (LA CROIX DE PIERRE).
Novembre :
Sabotage au plastique de trois avions gardés par les allemands aux usines LATECOERE de TOULOUSE en compagnie d’ouvriers (NB = les ouvriers de l’usine qui leurs ont donné un coup de main) (un FARMAN avion stratosphérique et deux GOELANS).
Sabotage d’un garage de la GESTAPO à AUCH (Gers). (Incendie à l’aide d’une bombe incendiaire).
Sabotage d’un très gros stock de paille et de grains détenu par les allemands à l’ILE DE NOE (Gers) en compagnie de FRED. Tout le stock a brûlé.
RAPPORT SUCCINCT D’ACTIVITES DE LA DEUXIÈME MISSION DU CHARGE DE MISSION DE 3ème CLASSE :
D. Robert
Alias GENDRE Bernard
Cette mission que j’ai exécutée comprenait l’envoi et l’homologation à LONDRES de terrains de parachutage HOMO-ARMA, à condition que ces terrains comportent chacun une centaine d’hommes organisés sous les ordres du chef de Secteur.
Tous ces terrains devaient être servis en hommes et en cadre d’officiers le jour où l’État Major allié le déciderait. Nous les appelions les terrains « Jour J ». Je devais en outre posséder d’autres terrains ARMA pour recevoir des armes préliminaires pour assurer la défense des terrains « Jour J ».
LYSANDER aux environs d’ARGENTON SUR CREUSE et de CHATEAUROUX le 30 avril 1944. Je devais retrouver en France deux radios qui venaient d’être parachutés et qui m’étaient destinés.
Le 2 mai je prends contact à Paris avec l’État Major National (KLEBER) (NB= c’est un pseudo il n’a jamais su son vrai nom) et le Colonel NEROT alias AUBUSSON. (NB : il a été témoin du mariage de Daddy)
Je me mets de suite au travail afin d’envoyer à LONDRES rapidement en groupe complet les terrains de parachutage suivant le plan prévu. J’ai été très entravé dans cette tâche par KLEBER, type orgueilleux, qui ne s’intéressait nullement au travail, qui ne lui apportait ni honneur ni avantage. Par contre j’ai eu l’aide complète du Colonel NEROT, type parfait de l’officier avec lequel je me suis entendu dès le premier instant.
J’ai fait deux opérations aériennes dans le courant du mois de mai. (Armes préliminaires)
C’est surtout à partir du mois de juin et lors de l’avance américaine que notre travail s’est subitement trouvé augmenté. En effet au mois de mai et juin j’avais organisé moi-même pour le plan J les départements de la MARNE et des ARDENNES avec environ quinze centaines et quinze terrains par département. J’avais organisé aussi des maquis et préparé des emplacements pour mes radios, dont malheureusement un, ALINE, fut arrêtée en pleine émission, la veille de son départ de Paris pour Reims.
Dès l’avance américaine nous nous retirâmes, mon radio et moi rapidement sur Reims, sur les emplacements prévus. Dans tout le département de la Marne je fis une douzaine d’opérations aériennes doubles.
Fin juillet un de mes contacts de Reims étant arrêté (CAMPION, « le savon des mamans », route de Paris-Reims) je faillis moi-même me faire prendre dans cette souricière. Heureusement Monsieur CAMPION n’était pas encore arrêté ou plutôt pas encore emmené mais il était surveillé par les allemands qui étaient dans sa cuisine et lui faisaient ouvrir la porte. Monsieur CAMPION était marchand de savon, je me présentais comme un client et je compris de suite à la figure de mon ami qu’il se passait quelque chose de pas normal aussi je partis de suite et ne fus pas inquiété.
Vers la fin juillet sentant l’avance américaine proche nous nous retirâmes avec mon radio dans un maquis des Ardennes dans un nouvel emplacement qui était un maquis de deux cents hommes environ et qui se situait près de Bourg-Fidèle (Ardennes). Là nous nous sommes confortablement installés avec postes émetteurs et Broadcast (NB : broadcast = appareil de réception uniquement ; les émissions étaient faites par les anglais, il n’y avait donc aucun risque d’être repérés ; pour les émissions depuis la France ils utilisaient des appareils radio émetteurs ; l’intérêt était de séparer les émissions de la réception) Nous rechargions nos accus avec les appareils chargeurs d’accus qui nous avaient été parachutés.
Dès notre installation je commençais à organiser par petit groupe ce maquis afin d’entamer le plus tôt possible les opérations de guérillas contre les allemands qui commençaient à battre en retraite.
Trois ou quatre jour après notre arrivée nous commençâmes ces opérations de guérillas en plein jour, attaquant les colonnes légères allemandes avec mitraillettes, fusils mitrailleurs, carabine américaines, grenades anglaises et grenades GAMON (NB = c’était une grenade très meurtrière, elle pouvait renverser un char ; ils les recevaient vides et elle étaient fabriquées sur place ; elles étaient constituées d’un sac en plastique qu’ils remplissaient avec des boulons, de la ferraille, etc. Le détonateur pouvait être percuté par un simple choc.)
Nous étions ravitaillés par les opérations aériennes des terrains auxquels j’assistais moi-même qui nous fournissaient armes et munitions.
Pendant dette période, allant du commencement d’août à la libération des Ardennes, rien qu’avec le maquis où je me trouvais, sans compter les autres centaines de terrains, nous avons tué deux cents allemands, fait quinze prisonniers, détruit deux motos, quatre voitures légères, un autocar et une voiture radio blindée ; nous avons eu nous-mêmes deux tués durant cette période.
Quand les américains furent environ à 40 kilomètres environ de notre lieu d’opération, je reçu un câble de Londres m’ordonnant d’envoyer dans les lignes alliées des guides afin de diriger les blindés amis par des chemins sûrs de façon à n’avoir que le minimum de pertes et de prendre les allemands à revers. Ce câble était accompagné d’un mot de passe à donner dans les lignes américaines après avoir contacté le J2 (NB = le deuxième bureau américain, un organisme de renseignement ou service secret américain qui accompagnait les troupes et était en relation avec les renseignements français.) Aussi dès la réception de ce câble, j’envoyais tous les jours, dans les lignes alliées, une dizaine de guides composés pour la plupart de douaniers et de gendarmes avec des instructions précises.
Je tiens aussi à signaler que c’est notre maquis qui, le premier entra dans Charleville et Mézières que les allemands venaient d’évacuer, harcelant les arrières gardes. Nous avons pris le soir même contact avec les américains. Malheureusement les allemands avaient fait sauter les ponts sur la Meuse sans que nous ayons rien pu faire pour les en empêcher, n’ayant aucune arme anti-char à opposer aux chars qui gardaient ces ponts jusqu’à leur destruction.
Après quelques jours de combat avec les américains sur l’autre rive de la Meuse, je fus pris en charge par le J2 et transporté à Paris puis à Londres par avion où je rendis compte de ma mission au commandant Millet qui m’avait lui-même expédié en France.
Je tiens à signaler la parfaite tenue, le courage et le sang-froid de mon radio MAURI CE ou ARNAULD, actuellement sous-lieutenant GRAFEUILLE radio au CR (NB = Centre de Renseignement) de Reims ; ce radio a donné tout ce qu’il pouvait et dans toute la limite de ses forces dans cette mission, on l’a sans doute oublié, il n’a jamais non plus réclamé ; mais aucune récompense ou décoration ne lui a été attribuée, et c’est là, je crois, une injustice flagrante.
D’autre part je n’ai jamais eu de nouvelles de ma radio, ALINE, arrêtée au mois de juillet 1944 elle dépendait de SOE (service opération exécutive) je considère cette jeune fille comme une jeune fille splendide, modèle de courage et de patriotisme. Arrêtée en pleine émission à Paris elle a réussi à détruire tous les papiers intéressants. Emmenée et torturée par les boches rue des Saussaies elle n’a jamais parlé même après le temps « réglementaire » puisque nous n’avons jamais eu de visite de la GESTAPO. (NB =commentaire de Daddy : de nombreuses personnes ont disparu pendant la guerre sans laisser de traces parce qu’elles agissaient sous une fausse identité (il raconte qu’une nuit il circulait en vélo, il en avait l’autorisation car il avait un brassard de la SNCF et un ausweis et, au cours d’un bombardement, il a été manqué de peu par un éclat d’obus ; si il avait été touché personne n’aurait su que Robert Dupuis était mort ce soir là : sur ses papiers il s’appelait Lièvre). Aussi parce que les anglais et même les américains étaient très avares de leurs informations à ce sujet ; sans parler des russes qui ont « recyclés » pas mal d’agents qui ont eu la malchance de tomber dans leurs mains.)
Tenue de saut d'un agent du SOE |
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